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Poème : Sur la tombe d’un camarade

Poême de Michel Gauvin,

La Mare, Normandie, juin 1944.

Sur la tombe d’un camarade

Nous partons dans un instant
Je suis venu te dire adieu
Et dans le geste traditionnel
déposer cette humble fleur des champs
Je dois te faire des excuses
– pour ta croix et ta fosse
Oui ! je sais, la croix n’est pas bien faite
Que veux-tu ! on l’a faite d’une boîte de compo
On n’avais pas les véhicules pour transporter de belles croix
blanches
– tout juste la place pour les munitions et les vivres.
Ton nom aussi est mal tracé
– le lettrage est inégal
Et l’endroit aussi est mal choisi
– à la fourche des chemins
à la poussière des routes
Ta mise en terre s’est faite sans éclat
Il n’y avait que l’aumônier
et les deux soldats qui ont creusé la fosse
Les autres se battaient
pour capturer l’objectif avant la nuit
J’étais sur la droite lorsque tu es tombé
L’on m’a raconté comment on t’a trouvé
les bras en croix
une grenade dans chaque main
la face dans la boue
Ton sacrifice a grandi le courage des camarades
Ton geste cependant restera ignoré
– comme tant d’autres –
puisque tu n’es pas là pour faire taire ceux qui forgent
une histoire à leur profit
Tu ne comptes plus
on t’a oublié
et sous peu, ton nom
ta mort n’a rien arrêté
et devant ton sacrifice qui coûtera tant de larmes à ta mère
on ne trouvera pas d’autres mots:
“C’est malheureux, c’était un bon diable !”
mais au fond
c’est bien la seule reconnaissance à laquelle tu pouvais t’attendre
tu n’as pas été déçu
tu avais toi-même prévu en disant:
“Il n’y a pas de plaisir à vivre dans un monde où l’on triche.”
l’injustice et la comédie humaine n’ont pas vaincu ton
enthousiasme
tu as vécu et tu es mort
– sans tromper le principe
en parfait accord avec l’héroïsme absolu
Avec quelle joie as-tu dû vaincre la dernière épreuve
complètement détaché de toute vanité
parfaitement conscient de l’ingratitude et de l’oubli certains
Tu t’es donné !
Je te salue
– dans l’oubli.

Michel Gauvin,
La Mare, Normandie,
juin 1944.